Le Ghetto intérieur by Santiago H. Amigorena

Le Ghetto intérieur by Santiago H. Amigorena

Auteur:Santiago H. Amigorena [Amigorena, Santiago H.]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782818047828
Google: oqOdDwAAQBAJ
Éditeur: P.O.L
Publié: 2019-08-20T22:00:00+00:00


Vicente s’était tourné vers ses fil es. El es avaient fini de manger et guettaient, comme leur mère, l’éventuel e et improbable fin de son silence.

Vicente avait croisé leur regard avant de replonger rapidement le sien, sans un mot, sans un soupir, sans un sourire, dans le néant qui s’étendait au-delà de la table. Les regards de ses fil es aussi étaient pleins de tendresse et de questions, mais Vicente ne voyait plus, partout, que du vide inutile – ou de la neige, tout aussi inutile. « Si jamais el e a été arrêtée, j’espère qu’el e a réussi à garder son châle. C’est tout. Juste ça : son châle en laine rose. Je ne demande que ça, mon Dieu. Je ne demande que ça, mon Dieu en qui je n’ai jamais cru. Je demande que maman, si el e a été arrêtée, soit tombée sur un soldat al emand assez humain pour comprendre que ce châle en laine rose ne pouvait faire de mal à personne. » Les rares fois où il se laissait al er à penser à une réalité possible que sa mère affrontait, Vicente s’attachait à des détails si futiles, si fuyants, si insignifiants. « Est-ce qu’el e peut se laver les mains avant de manger ? » Jamais Vicente n’avait vu sa mère manger le moindre aliment sans se laver les mains auparavant. Et brusquement, songer que si jamais el e était dans un de ces camps de travail dont on commençait de parler el e devrait manger chaque jour sans se laver les mains auparavant le remplissait de rage. « Non. Non non non non non.

Je ne veux pas. Je ne veux pas penser. Je ne veux pas penser à el e. Je ne veux pas penser à ce qu’el e peut, à ce qu’el e ne peut pas. Je préfère ne pas

penser à ça. Ni à ça ni à rien d’autre. Non. Non, non et non. Je ne veux pas.

Je ne veux plus penser. Plus jamais. »

— Je peux prendre ton assiette, papa ?

— Oui…

Vicente avait répondu, puis il avait regardé sa fil e aînée lui sourire. El e lui souriait avec une infinie douceur, avec une infinie bonté, mais, totalement ail eurs, il lui avait répondu machinalement, sans vraiment comprendre ce qu’el e demandait. Il avait répondu d’un « oui » totalement absent, un « oui » qui ne voulait absolument rien dire.

— Oui, pardon, ma chérie. Oui, tu peux, bien sûr.

Revenu dans le présent grâce à son sourire, il s’était repris et il avait finalement réussi à articuler quelques mots. Ercilia avait souri encore.

— Merci, mon capitaine !

Et alors qu’el e prenait son assiette sale, au lieu de la laisser partir avec vers la cuisine, il l’avait attrapée tendrement par le poignet pour la faire asseoir sur ses genoux. Ercilia avait reposé l’assiette sur la table et sa tête sur son épaule ; et ils étaient restés ainsi, en silence, tous les deux col és l’un à l’autre dans la sal e à manger déserte.



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